Exercice du droit de grève par les salariés

grèveLe droit de grève est un droit constitutionnel, la loi elle-même ne donne pas de précision sur la notion de grève.

Ce sont les juges par le biais de la jurisprudence qui en donne une définition : la grève est une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles.

Tout salarié a le droit de faire grève, mais certaines conditions doivent être remplies pour qu’un arrêt de travail constitue une grève, il faut la réunion de 3 éléments : une cessation du travail , une concertation des salariés et des revendications professionnelles

Lorsqu’un mouvement de grève ne répond pas à ces 3 critères, il peut être requalifié en mouvement illicite.

Lorsque la grève remplit ces 3 conditions, les salariés qui y participent ont une immunité de principe, ce qui signifie que les salariés grévistes ne peuvent être sanctionnés pour fait de grève : le pouvoir disciplinaire de l’employeur est neutralisé.

Seule la faute lourde permet à l’employeur de sanctionner les salariés grévistes.

Code du travail : Art. L. 2511-1 et L. 1132-2

Attention, la fiche pratique ne concerne que le droit de grève d’un salarié du secteur privé, elle ne concerne donc pas le droit de grève dans la fonction publique.

Cessation du travail

Arrêt total du travail

La grève nécessite une cessation totale du travail. Il n’y a pas de durée minimale ni maximale à respecter pour être en gréve.

Exemple d’arrêt de travail total pendant une grève

La répétition d’arrêts de travail de 2 fois 5 minutes par heure pendant 5 jours, de 20mn toutes les heures pendant 15 jours ou 50 arrêts de travail successifs en moins de 3 mois sont des grèves parfaitement licite.

Cessation du travail effectif

La grève doit se traduire par une cessation d’activité mais pas par un ralentissement de l’activité.

Ainsi, les mouvements ci-après qui n’entrainent pas un arrêt total du travail, sont illicites et ne peuvent pas être qualifiés de mouvement de grève :

  • la grève perlée qui consiste à exécuter le travail au ralenti ou par une exécution dans des conditions volontairement défectueuses.
  • la grève du zèle qui a pour but de ralentir l’exécution du travail en appliquant les consignes de travail très strictement
  • la grève tournante qui entraîne une désorganisation de l’entreprise. Elle est caractérisée par des arrêts de travail successifs des différents ateliers ou services.
  • la grève de l’astreinte : les salariés effectuent normalement leur journée de travail mais n’assure pas leur obligation d’astreinte.

Arrêt collectif du travail

Pour qu’il y ait grève, l’arrêt du travail doit d’être collectif, la grève ne peut donc, en principe, être le fait d’un salarié agissant seul.

Cependant, l’arrêt de travail du seul salarié de l’entreprise revêt le caractère de grève.

Jurisprudence Cass. soc. 13-11-1996, n° 93-42.247

L’arrêt de travail d’un seul salarié d’une entreprise est également possible lorsqu’il y a un appel à la grève lancé au niveau national.

Bien entendu, il n’est pas nécessaire que la totalité ni même la majorité des salariés de l’entreprise participe à la grève. Ainsi, une minorité de salariés peut faire grève.

Cessation concertée du travail

La grève implique une décision préalable concertée des salariés ainsi ils doivent avoir la volonté commune de stopper le travail pour soutenir leurs revendications professionnelles.

Mais, la grève ne doit pas nécessairement être déclenchée par l’appel d’un syndicat.

Revendications professionnelles

Les revendications invoquées à l’appui d’une grève doivent avoir un caractère professionnel et intéresser les salariés qui participent à cette grève.

Les arrêts de travail provoqués par un motif autre que professionnel sont illicites.

Exemples de revendications professionnelles autorisées pendant une gréve

Les revendications professionnelles peuvent ainsi porter sur :

  • Le salaire
  • L’aménagement du temps de travail
  • Un système de retraite
  • Les conditions de travail
  • L’exercice du droit syndical
  • La défense de l’emploi

Grève de solidarité

Les grèves de solidarité interne (soutien de salariés de la même entreprise) ou externe (soutien de salariés appartenant à d’autres entreprises) ne sont légitimes que si elles ont pour but de défendre les intérêts professionnels et collectifs des salariés.

Grève politique

La grève qui sert à contester une décision strictement politique est illicite. Cependant cela n’exclut pas qu’elle puisse avoir un aspect politique à la condition qu’elle n’ait pas pour objet unique d’affirmer une position politique.

Cass. soc., 05-10-1960, n° 59-40439

Procédure de déclenchement de la grève

Absence de préavis pour faire gréve

L’exercice du droit de grève n’est soumis à aucun préavis sauf pour les entreprises chargées d’un service public de transport de voyageurs ou dans le transport aérien.

Un mouvement de grève peut donc être déclenché à tout moment, y compris le jour même.

Jurisprudence Cass. soc. 22-10-2014, n° 13-19858

Connaissance par l’employeur des revendications professionnelles

Cependant, l’employeur doit connaître les revendications professionnelles des salariés au moment du déclenchement de la grève.

L’essentiel est qu’il ait eu connaissance de ces revendications au plus tard au moment de l’arrêt de travail.

Les salariés ne sont pas tenus d’attendre le refus de leur employeur de satisfaire à leurs revendications pour déclencher la grève., la grève peut donc être une grève surprise.

Jurisprudence Cass. soc. 20-05-1992, n° 90-45271

Absence de rôle des syndicats

Le droit de grève étant un droit strictement individuel, les syndicats de salariés n’ont pas de rôle particulier à jouer dans le commencement de la grève.

Une grève peut donc être déclenché sans l’appel d’un syndicat.

Durée de la grève

La grève n’est soumise à aucune durée minimale ou maximale. L’arrêt de travail peut être de très courte de durée (1 heure ou même moins) ou se poursuivre sur une très longue période (plusieurs jours ou semaines).

Déroulement de la grève

Occupation des locaux de l’entreprise par les grévistes

Le droit de grève ne donne pas le droit au salarié gréviste de disposer des locaux de l’entreprise à sa convenance.

Une occupation des locaux de l’entreprise constitue un trouble manifestement illicite qui permet à l’employeur d’obtenir l’expulsion des grévistes.

Jurisprudence Cass. soc. 21-06-1984, n° 82-16.596

Exemple d’occupation de locaux illégale pendant une grève

Les salariés grévistes bloquent l’accès de l’entreprise au personnel non-gréviste.

En cas d’occupation des locaux par les grévistes, l’employeur peut demander au juge des référés leur expulsion.

Si malgré les injonctions du juge à évacuer les locaux, l’occupation se prolonge, les salariés récalcitrants peuvent être sanctionnés pour faute lourde.

Toutefois si l’occupation des lieux de travail est symbolique, momentanée et n’entrave pas la liberté du travail, elle ne constitue pas un acte abusif.

Jurisprudence Cass. soc. 26-02-1992, n° 90-40.760

Piquets de grève

Le piquet de grève qui regroupe des salariés grévistes devant l’entrée de l’entreprise consiste à gêner le fonctionnement de l’entreprise et à inciter les non-grévistes à cesser le travail.

Le piquet de grève ne constitue pas un usage illicite du droit de grève dès lors qu’il n’entrave pas la liberté du travail des autres salariés et qu’elle n’entraîne pas la désorganisation de l’entreprise.

Si le piquet de grève bloque les portes de l’entreprise et interdit l’accès aux autres salariés, l’exercice anormal du droit de grève est caractérisé.

Jurisprudence Cass. soc. 08-12-1983, n° 81-14.238

Conséquences et effets de la grève

Les grands principes

La grève suspend le contrat de travail du salarié mais ne le rompt pas ainsi aucun salarié ne peut être licencié pour avoir fait grève sauf faute lourde.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, ni faire l’objet d’une discrimination pour avoir fait grève.

Suspension du contrat de travail des salariés grévistes

Le fait de faire grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.

Ainsi, pour la durée de la grève, le contrat de travail est simplement suspendu.

Code du travail : Art. L. 2511-1

Non versement du salaire et des accessoires au salaires

Sauf exception, la suspension du contrat de travail pour faits de grève dispense l’employeur de verser le salaire et ses accessoires.

La retenue sur la paie doit être strictement proportionnelle aux arrêts de travail effectifs.

Toute retenue supérieure est interdite, ainsi la perte de production résultant de la grève, ou le temps consacré à la remise en marche des machines n’autorisent pas l’employeur à faire une retenue supérieure à la durée de l’arrêt de travail pour grève.

Jurisprudence Cass. soc. 06-06-1989, n° 85-46.435

Si à la demande de l’employeur, les salariés grévistes assurent un service minimum, ils ont droit à la rémunération pour le travail réalisé.

Les indemnités pour frais professionnels peuvent être diminuées proportionnellement à la durée de la grève.

Suppression ou réduction de primes

La suppression ou la réduction d’une prime en raison de la participation à une grève est discriminatoire.

Code du travail : Art. L. 2511-1

Cependant, si les autres absences sauf celles que la loi assimile à du temps de travail effectif, entraînent la même suppression, cette possibilité de proratisation n’est pas discriminatoire.

Jurisprudence Cass. soc. 23-06-2009, n° 08-42.154

Ainsi, il est admis que les absences ouvrent droit à la prime s’il s’agit d’absences légalement assimilées à du travail effectif (jours RTT, congés payés…) alors l’absence pour grève n’ouvre pas droit à la prime.

Il en résulte que si les absences pour maladie, pour événements familiaux ouvrent droit à la prime sans proratisation, la grève ouvre également droit à la prime sans proratisation.

Ces règles sont valables quel que soit la nature de la prime : prime d’assiduité, prime de 13eme mois, prime de fin d’année, prime d’ancienneté…

Exemple de suppression de prime pendant une gréve

Un entreprise prévoit le versement d’une prime de 13eme mois sous réserve de n’avoir pas été absent pour maladie plus de 2 semaines dans l’année.

Un salarié a fait gréve pendant 3 semaines, l’employeur pourra lui supprimer le 13eme mois.

Attribution d’une prime aux non-grévistes

Le versement d’une prime aux seuls salariés non-grévistes est une pratique prohibée même si l’employeur justifie que ces salariés ont accepté de remplacer leurs collègues le temps de la grève en plus de leur travail.

Jurisprudence Cass. soc. 01-06-2010, n° 09-40.144x

Paiement du salaire dans le cas d’une grève faite pour assurer le respect d’un droit essentiel

Lorsque les salariés ont été contraint de faire grève pour faire respecter leurs droits essentiels suite d’un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations, l’employeur peut alors être condamné à payer aux grévistes une indemnité compensant la perte de leurs salaires.

Exemples de manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations

  • le non-paiement à du salaire
  • le non-paiement d’heures supplémentaires
  • le refus d’appliquer la convention collective de l’entreprise
  • la réduction unilatérale du temps de travail entraînant une réduction de la rémunération.

Mention de la grève sur le bulletin de paie

L’exercice du droit de grève ne doit en aucun cas apparaitre sur le bulletin de paie.

Code du travail : Art. R. 3243-4

Jours fériés compris dans une grève

Le salarié qui fait grève ne peut pas prétendre au paiement de sa rémunération pour un jour férié compris dans une période de grève.

Si la grève prend fin la veille ou débute le lendemain d’un jour férié, le salarié a droit à sa rémunération pour ce jour férié.

Non-assimilation de la grève à du travail effectif

Les jours de grèves ne sont pas assimilés à des périodes de travail effectif.

Grève pendant un préavis

La période de préavis de licenciement ou de démission n’est pas interrompu par une période de grève.

Ainsi, le préavis débuté ou notifié avant le début de la grève continue à courir et le salarié n’a pas droit au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis.

Indemnisation d’un arrêt de travail pour maladie pendant une grève

Salarié malade avant la grève

Le maintien de salaire prévue par loi ou par la convention collective en cas de maladie doit être versé au salarié malade avant la grève, peu importe le fait que le salarié aurait pu ou pas faire grève s’il n’avait pas été malade.

Nonobstant cette règle, si la totalité du personnel non-gréviste n’a pu travailler et que l’employeur ne leur a pas versé de rémunération, ce dernier n’est pas obligé de verser les indemnités complémentaires au salarié malade avant une grève.

Cass. soc. 16-07-1987, n° 85-44.490

Gréviste tombant malade pendant la gréve

Lorsqu’un salarié tombe malade alors qu’il participe à une grève, il n’a pas droit au maintien de salaire employeur prévu par la loi ou par la convention collective. Une fois la grève finie et s’il est toujours malade il aura droit au maintien de salaire à compter du 1er jour suivant la fin de la grève.

Accidents du travail au cours d’une grève

L’accident survenu pendant une grève n’est pas un accident du travail car le contrat de travail est suspendu pendant cette période.

Interdiction du licenciement et de toute sanction du salarié gréviste sauf faute lourde

Protection de l’emploi du salarié gréviste

La grève à elle seule ne justifie jamais le licenciement d’un salarié gréviste. Le salarié conserve son emploi, le contrat de travail est simplement suspendu pendant toute la durée de la grève.

De même, aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de l’exercice de son droit de grève sous peine de nullité.

Code du travail : Art. L. 2511-1 et L. 1132-2

Licenciement possible en cas de faute lourde uniquement

Obligation de la faute lourde

Seule la faute lourde du salarié gréviste peut justifier son licenciement. En l’absence de faute lourde, le licenciement est nul.

Code du travail : Art. L. 2511-1

Selon une jurisprudence relativement constante, la faute lourde peut notamment être caractérisée par :

  • des actes d’entrave à la liberté du travail des autres salariés
  • des violences commises sur les biens ou les personnes
  • des actes de séquestrations
  • du blocage des services de sécurité
  • des menaces ou injures
  • la dégradation de biens appartenant à l’entreprise
  • l’occupation des locaux de l’entreprise alors qu’une décision de justice a ordonnée l’évacuation

Absence de faute lourde = nullité du licenciement et réintégration du salarié

Le licenciement d’un salarié gréviste prononcé en l’absence de faute lourde est nul.

Code du travail : Art. L. 2511-1

Si la participation personnelle et active des salariés à des faits illicites n’est pas prouvée, alors la faute lourde est systématiquement écartée.

La nullité du licenciement entraine automatiquement la réintégration du salarié dans l’entreprise.

Jurisprudence Cass. soc. 14-04-2010, n° 08-44.842

Poursuite de l’activité de l’entreprise et du travail pour les salarié non-gréviste

Face à une grève, l’employeur ne peut fermer l’entreprise pour se mettre en situation de lock-out appelé également grève patronale,

Il doit donc poursuivre l’activité de l’entreprise pour fournir du travail aux salariés non-grévistes.

Obligation de donner du travail aux salariés non-grévistes

La grève d’une partie des salariés ne doit pas avoir d’incidence pour le personnel non-gréviste.

Contrairement à leurs collègues grévistes, leur contrat de travail n’est pas suspendu, l’employeur doit leur fournir du travail et ils doivent travailler normalement.

Interdiction de recourir au travail temporaire ou à des salariés en contrat à durée déterminée

Il est formellement prohibé de recourir à des contrats de travail temporaire ou à des contrats à durée déterminée (CDD) pour remplacer des salariés grévistes.

L’entreprise et le responsable qui vont à l’encontre de cette interdiction risquent une sanction pénale.

Code du travail : Art. L. 1242-6 et L. 1251-10

A noter que cette interdiction de remplacement concerne également les salariés non-grévistes qui sont affectés au remplacement des salariés grévistes, ils ne peuvent être eux-mêmes remplacés par des travailleurs temporaires ou des CDD.

L’embauche de CDD ou d’intérimaires est possible :

  • à la fin de la grève, pour faire face au surcroît d’activité résultant de la nécessité de rattraper le retard pris pendant la grève
  • pendant la grève, pour accomplir des tâches autres que celles destinées aux grévistes (remplacement de salarié absent pour maladie, …)

Possibilité de recourir aux salariés non-grévistes par glissement de poste

L’employeur a le pouvoir de muter de façon temporaire un salarié non-gréviste sur le poste d’un salarié gréviste mais le remplacement doit se faire à qualification ou compétence similaire.

De plus, l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction peut faire accomplir des heures supplémentaires aux salariés non gréviste.

Jurisprudence Cass. soc. 15-02-1979, n° 76-14.527

Le recours aux non-grévistes s’impose aux salariés grévistes si ces derniers s’y opposent en empêchant le travail des salariés, ils commettent une faute lourde.

Interdiction de réquisition des salariés grévistes

Si aucun texte de loi n’autorise expressément l’employeur à réquisitionner les salariés grévistes alors ce dernier ne peut y avoir recours.

Interdiction de la récupération des heures perdues pour grève interne à l’entreprise

Les heures perdues pour grève ne peuvent donner lieu à récupération.

Fin de la grève

Les conflits collectifs entre salariés et employeurs font l’objet de négociations soit lorsque les conventions ou accords collectifs applicables comportent des dispositions à cet effet, soit lorsque les parties intéressées en prennent l’initiative.

Code du travail : Art. L. 2521-2

Dans la plupart des cas, une négociation directe employeur et grévistes permet d’aboutir au règlement du conflit.

Si la négociation s’avère impossible, il est possible de s’adresser de manière facultative à des personnes ou des organismes extérieurs au conflit au travers de 3 procédures distinctes :

  • la conciliation en soumettant le litige à une commission
  • la médiation en recourant à une personnalité désignée en fonction de son autorité morale ou de ses compétences
  • l’arbitrage en soumettant le conflit à une personnalité qui statue en droit et en équité

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